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publie dans :
Binsbergen, W.M.J. van, & Schilder, K., red., Perspectives
on Ethnicity in Africa, special issue ‘Ethnicity’, Afrika
Focus, Gent (Belgie), 1993, 1: 9-40
par : Wim van
Binsbergen
Centre
d’Etudes Africaine, B.P. 9555, 2300 RB Leyde, Pays-Bas/
Departement
d’Anthropologie et de Sociologie de Developpement, Universite
libre d’Amsterdam
The production of cultural forms at the
interface between a rural-based tradition and the state is a
familiar aspect of ethnicity in contemporary Africa. This paper
seeks to identify some of the characteristics of this process,
whose products are too often misunderstood, and cherished, as
‘authentic’ forms of ‘tradition’. Highlighting the role
of ethnic brokers, of the modern mass media, and of a model of
commoditified ‘performance’ as an aspect of contemporary
electronic mass culture, the argument explores the production of
expressive culture in the context of the Kazanga cultural
association and its Kazanga annual festival among the Nkoya
people of central western Zambia since the early 1980s, against
the background of Nkoya ethnicity and Nkoya expressive and court
culture since the 19th century.
key words: associations, brokers,
commoditification, dance, ethnicity, festivals, music, Nkoya,
state, Zambia
Un aspect tres ancien et probablement
universel de la condition humaine est le fait que nous donnons
des noms [2] non seulement a des
formes non humaines et a des individus humains, mais aussi aux
relations suivant lesquelles nous nous organisons.[3] Les
membres d’une societe locale definissent generalement la
relation sociale propre a l’aide d’un nom propre et, en tous
cas, attribuent des noms a d’autres communautes. Bien que
souvent vague, une telle nomenclature cree une ordonnance
dramatique a l’interieur du champ social que se partagent
plusieurs communautes. L’attribution d’un nom particulier qui
ne s’applique pas au propre denie a l’autre la possibilite de
differer du propre seulement d’une facon graduelle.
L’opposition est absolutisee verbalement par le nom et est
soumise en principe a la rigueur du dendrogramme et des
oppositions binaires qui jouent un role si important dans la
pensee humaine. [4] En nommant l’autre
categorie ‘A’, l’ensemble propre s’identifie en tous cas
comme ‘non A’.
Chaque societe comprend de nombreux
ensembles humains portant un nom, comme par exemple les
communautes locales, les groupes de parente, les groupes de
production, les elements d’un appareil administratif, les
cultes et les organisations benevoles. Nous ne voudrions appeler
ces ensembles ‘groupes ethniques’ qu’en presence de
certaines caracteristiques supplementaires: si l’appartenance
individuelle est primairement empruntee au droit de naissance
(ascription); si l’ensemble humain se distingue consciemment et
explicitement d’autres ensembles voisins similaires par des
differences culturelles specifiques; et si les membres
s’identifient les uns aux autres sur la base d’une conscience
d’une experience historique commune. L’ethnicite’ est alors
la totalite des processus par lesquels les hommes structurent le
large champ social et geographique dans lesquels ils sont
impliques en un champ ethnique, sous reference des groupes
ethniques qu’ils distinguent.
La nomenclature ethnique est un
processus social complexe ayant droit a une recherche specifique.
Cette idee n’est pas en vogue depuis tres longtemps en
anthropologie. Jusqu’au milieu du vingtieme siecle, les
chercheurs utilisaient des noms ethniques comme etiquettes pour
marquer des unites de culture et d’organisation apparemment
evidentes: des recherches ont ete faites a l’interieur, mais la
delimitation elle-meme a ete a peine problematisee. Ce n’est
que dans les annees 1960 que la notion de ‘tribu’, comme
expression ethnocentrique et reifiee d’un groupe ethnique a
l’interieur d’un champ ethnique mondial mais a l’exterieur
de la civilisation politiquement dominante, a ete soumise a une
critique approfondie.
On a beaucoup ecrit depuis sur le
developpement et le declin de la notion de tribu en Afrique dans
le cadre des processus politiques et economiques qui se sont
deroules sur ce continent depuis la fin du dix-neuvieme siecle.[5] Mais nous en savons
encore tres peu pour l’instant sur les processus de
transformation symbolique et culturelle dont a use l’ethnicite
dans ce contexte. C’est la question que je voudrais soulever
ici.
Le terme d’identite’ est tres
souvent utilise dans le cadre de l’ethnicite et des recherches
sur l’ethnicite. [6] L’identite’ peut se
definir comme etant la perception socialement construite du moi
en tant que membre du groupe. Chaque personne joue plusieurs
roles dans plusieurs groupes et a, de ce fait, une multiplicite
d’identites formees au cours de sa socialisation comme membre
de ces groupes.
Le developpement d’un groupe ethnique
en Afrique, en tant que projet, consiste generalement dans le
lancement d’une nouvelle identite et dans sa mise en place dans
la personnalite des membres vises. Le projet d’ethnisation
presente l’identite ethnique (exprimee par le nom de groupe)
comme une identite ultime, dominante et ancree au plus profond,
devant comprendre toutes les autres identites que l’on a
acquises en tant que membre de la societe locale.
L’ethnicite comprend notamment un
processus de prise de conscience dans le cadre duquel des
identites diffuses sont regroupees sous le denominateur d’une
seule identite ethnique, marquee d’un nom specifique. Le nom
est construit comme limite culturelle, et la culture est
reconstruite pour s’inscrire a l’interieur de cette limite et
fournir des attributs culturels distinctifs. La conjugaison et le
rearrangement des identites transforment l’experience
personnelle du moi et du monde: la decouverte de ‘je suis –
flamand, azeri, yoruba, nkoya, etc.’ offre une perspective de
classification dans laquelle l’impuissance, l’alienation et
les privations vecues dans de nombreuses situations apparaissent
sous un jour nouveau – l’espoir que cette auto presentation
ethnique transformera ces experiences negatives en leur
contraire. Ainsi, l’ethnicite presente de nombreux paralleles
avec d’autres phenomenes ideologiques comme le nationalisme, le
reveil de la conscience de classe, la conversion et le renouveau
religieux.
L’ethnicite presente une dialectique
remarquable que je suis enclin a considerer comme son moteur. [7]La
structure logique de la nomenclature est encore durcie par
ascription et se pretend inconditionnelle, delimitee, inevitable
et intemporelle ; [8]en revanche, la construction d’une culture
coincidant a la limite de groupe, de symboles culturels
distinctifs et d’une conscience historique partagee, et le fait
d’une appartenance partiellement non ascriptive – bref, la
mise en place concrete de l’ethnicite dans le temps, signifient
flexibilite, choix, faisabilite et changement recent. Ces deux
aspects absolument contradictoires sont mis en question dans
l’ethnicite. Cette dialectique rend l’ethnicite apte par
excellence a jouer un role de mediateur dans les processus de
changement entre des relations sociales structurees
fondamentalement differentes, notamment entre le niveau local
d’un cote, et Etat et les larges structures economiques de
l’autre.[9] Le nom ethnique et le
principe d’ascription donnent l’image d’un ensemble humain
delimite. Ainsi, l’integration dans l’ensemble plus grand et
autrement structure n’est pas un probleme que l’individu
vulnerable et seulement prepare a la communaute locale doit
resoudre seul, mais devient l’objet d’une action de groupe.
Un ensemble humain est structure vers l’interieur en groupe
ethnique par la creation d’un bagage culturel qui forme en soi
un enjeu important dans la negociation entre le groupe ethnique
en developpement et le monde exterieur. On se distancie des
groupes ethniques concurrents en mettant un accent strategique
sur des elements culturels et linguistiques; et a un niveau plus
large d’organisation socio-politique, on essaie d’obtenir de
Etat des avantages politiques et economiques par la
reconnaissance etatique du bagage ethnique construit.
Ce processus permet au groupe ethnique
de s’articuler de plus en plus comme tel. Mais, bien que toutes
les personnes impliquees dans ce processus soient egales en tant
que detenteurs de l’identite ethnique, le contact avec le monde
exterieur, en particulier dans le cas ou il est couronne de
succes, engendre de nouvelles inegalites a l’interieur du
groupe. La mediation se deroule par l’intermediaire de
mediateurs politiques, economiques et ideologiques qui (par plus
de savoir, d’education, d’experience, de contacts politiques
et de moyens de les entretenir) savent mieux que les autres
membres du groupe mettre a profit les possibilites offertes par
le monde exterieur.[10]
Ces mediateurs developpent la direction du groupe ethnique en un
instrument de pouvoir qui va dans deux directions:
– vers le monde exterieur, ou l’on
se procure des ressources en echange de l’ordonnance effective
du domaine local ;[11]
– et a l’interieur du groupe
ethnique, ou les mediateurs eclusent de facon limitee les
ressources acquises a l’exterieur en echange d’une autorite
interne, d’un prestige et d’un controle de la production au
niveau local.
Dans ce contexte de mediation entre la
communaute locale et le monde exterieur, le propre en tant que
propre devient problematique et l’assertion de la culture
‘traditionnelle’ et ‘authentique’ (mais en fait
reconstruite) apparait comme une tache importante et une source
de pouvoir pour les mediateurs. Les associations, publications et
manifestations ethniques organisees par les mediateurs, comme par
exemple les festivals, constituent dans ce processus une formule
largement repandue et eprouvee.
L’insistance sur l’identite
ethnique produit des revendications ideologiques fortes pour
lesquelles le monde exterieur manifeste parfois plus de sympathie
que de comprehension analytique. On ne les reconnait pas comme
etant un produit strategique et rhetorique recent, mais on les
idealise (comme le font les mediateurs ethniques eux-memes) comme
etant l’expression courageuse d’une identite ineluctable,
acquise par socialisation pendant l’enfance et qui resiste
desesperement a l’assaut du monde exterieur. Dans la pensee
actuelle sur l’aide au developpement, on concede une place
certaine a de telles expressions culturelles.
S’agit-il vraiment ici de la
mediation d’une tradition profondement ancree? Les processus
ethniques ont-ils droit, de ce fait, a la sympathie et a
l’appui que nous sommes enclins, dans un monde en plein
changement, a donner a un bien culturel menace? Comment ces
expressions ethniques rendent-elles manifestes les details du
processus de negociation entre le monde exterieur et la
communaute locale? Comment de nouvelles inegalites y
trouvent-elles une expression? Y a t-il des arguments a trouver
pour la these classique des chercheurs et hommes politiques
marxistes selon laquelle le processus ethnique produit une fausse
conscience qui masque aux participants l’exploitation
sous-jacente, interpretable en termes de classe? [12] Que nous apprend
l’analyse du processus de negociation ethnique sur le large
systeme politique et economique actuel dans lequel il s’insere?
A present, je vais porter temoignage
d’une fete ethnique au coeur de l’Afrique, a laquelle ces
questions s’appliquent par excellence.
Depuis 1988, une ceremonie remarquable,
appelee Kazanga, a lieu chaque annee le 1er juillet a Shikombwe,
dans le district de Kaoma, dans l’Ouest de la republique de
Zambie.
Shikombwe est le village principal de
Mwene Mutondo. Mwene signifie ‘roi’. Shikombwe se reconnait
comme residence royale a sa lilapa, palissade de roseau soutenue
par des poteaux appointes et reservee aux rois. L’interieur se
compose d’un tres simple appartement de quatre pieces qui sert
de palais royal, d’un hall d’audience en roseau et d’un
auvent sous lequel les instruments de musique de l’orchestre
royal – regales les plus en vue – sont mis a l’abri et
joues deux fois par jour. Sur un grand espace libre situe hors de
l’enceinte, se trouve le palais de justice moderne devant la
porte duquel se dresse un manche a drapeau grossierement taille
sur lequel les agents de police designes a la cour royale, les
kapasus, hissent chaque jour le drapeau zambien. C’est ici que
se deroule le festival. Les residences des courtisans et des
membres de la famille royale sont situees autour de ces deux
places centrales. Un chemin de sable long de quinze kilometres
relie le village a la route bitumee qui mene au centre de
district Kaoma, appele Mankoya jusqu’en 1969, situe vingt
kilometres plus loin. Mongu et Lealui sont deux centres
gouvernementaux, l’un moderne et l’autre traditionnel, de la
Province occidentale (l’ancien Barotseland) [14]dont fait partie le
district de Kaoma et sont situes a deux cents kilometres a
l’Ouest; Lusaka, la capitale nationale de la Zambie, est a
quatre cents kilometres a l’Est. Le territoire de Mutondo, dont
la superficie est egale a celle de quelques departements
francais, est couvert d’une savane fertile parsemee de hameaux
habites par des petits paysans. De nombreux habitants se
considerent comme des sujets de Mutondo, comme Nkoya, et parlent
de preference mais rarement uniquement la langue nkoya;
d’autres se comptent parmi les Lozi, groupe dominant dans
l’Ouest de la Zambie, ou parmi les groupes de migrants qui ont
massivement quitte l’Angola depuis le debut du vingtieme
siecle: surtout les Luvale [15] et les Luchazi.
Mutondo emprunte son statut royal a un
royaume que ses ancetres, dissidents de l’illustre royaume
lunda dans le Sud du Zaire, fonderent dans cette region au
dix-huitieme siecle. A l’origine [16] nom d’un bois qui entourait le confluent
des fleuves Zambeze et Kabompo, le nom nkoya est passe au groupe
dynastique. A l’interieur de la continuite culturelle de la
region, ‘nkoya’ ne designait pas une culture particuliere et
delimitee; les Nkoya n’etaient pas encore constitues en groupe
ethnique. Devenus tributaires du roi de Barotseland au milieu du
dix-neuvieme siecle, Etat et les sujets de Mutondo ont ete
integres en 1900 en tant que ‘tribu soumise aux Lozi’, sous
le nom de Mankoya, a Etat colonial qui deviendrait en 1964 la
Zambie independante. Mutondo devint alors un titre eminent dans
l’aristocratie lozi. Actuellement, la cour est toujours
retribuee par Etat national, dans le cadre des accords qu’il
conclut en 1900 et 1964 avec le roi lozi.
Neanmoins, les relations Lozi-Nkoya
sont vecues par ces derniers comme etant antagonistes et
humiliantes, en particulier sous Etat colonial. Celui-ci laissa
une grande liberte au gouvernement indigene lozi. Le district de
Mankoya soupira sous la dominance lozi. Hormis Mutondo, un seul
autre souverain apparente de la region, Mwene Kahare, survecut au
processus d’incorporation dans Etat lozi. Les nombreux autres
dignitaires furent remplaces par des gerants lozi. Deux rois
intimement lies a la dynastie Mutondo, Mwene Kabulwebulwe et
Mwene Momba, deplacerent a temps leur siege hors du Barotseland;
ils etaient reconnus depuis le debut par Etat colonial mais ne
partageaient pas, bien sur, la subvention accordee aux Lozi. [17]
Les annees decisives pour le
developpement des Nkoya en groupe ethnique conscient de soi ont
ete 1937, lorsque le roi lozi crea une dependance de sa cour pour
gerer au niveau du district l’autorite des chefs locaux, la
justice et les finances, et 1947, lorsque Mutondo Muchayila fut
destitue par le roi lozi et exile pour dix ans pour cause de
rebellion. A la meme epoque, Johasaphat Shimunika, le premier
pasteur autochtone de l’Eglise evangelique de Zambie [18][waar
is noot 17], traduisit le Nouveau testament et les Psaumes [19]dans
la langue locale qui serait appelee egalement ‘nkoya’. Malgre
les efforts de Eglise, cette langue, dont les usagers
representaient moins de 1% de la population zambienne, ne parvint
pas se faire reconnaitre, on le comprend, dans l’enseignement
et les medias: outre l’anglais qui est la langue officielle, la
Zambie reconnait deja sept langues regionales parmi lesquelles le
lozi. De plus, dans les annees 1950-60, Shimunika mit par ecrit
les traditions orales, ce qui dota l’identite nkoya en
developpement [20]d’un passe glorieux. Dans sa tentative
pan-nkoya, il impliqua expressement, aux cotes de Mutondo, les
rois Kahare, Kabulwebulwe et Momba et leurs sujets, et declara la
dominance lozi historiquement illegitime.
Les Nkoya en formation virent la lutte
pour l’independance nationale comme une occasion de mettre fin
a la dominance regionale lozi. Ainsi, ils se tinrent a l’ecart,
les premieres annees, de Etat national domine par le Parti pour
l’Union nationale pour l’independance (UNIP), parti domine
localement par les Lozi. Grace au recul des Lozi dans la
politique nationale a partir de 1969 [21] et a la discorde qui regnait dans le district
parmi les electeurs luvale et luchazi, les Nkoya obtinrent, aux
elections generales de 1973, leur premier et unique siege au
parlement et au ministere. Effraye par le tribalisme, le
gouvernement reagissait toujours de facon extremement negative
aux expressions de l’ethnicite nkoya. A la meme epoque, un
grand projet de developpement fut entrepris dans l’Est du
district. Les villageois en profiterent a peine, contrairement a
certains fermiers entreprenants qui affluerent des autres
districts et aux membres (etroitement apparentes) de l’elite
politique moderne et traditionnelle des Nkoya. Cette elite
eveilla l’enthousiasme et la loyaute des villageois grace a la
formulation de buts ethniques tels que l’augmentation des
subventions aux rois reconnus, la reinstallation des chefferies
disparues, et le plaidoyer pour la langue nkoya dans les medias
et l’enseignement. Sous sa direction, le developpement des
departements locaux UNIP rendit l’expression de l’ethnicite
nkoya acceptable pour Etat central. Pour la premiere fois,
l’hymne national et les chants de lutte UNIP retentirent en
langue nkoya.
Depuis le debut du vingtieme siecle, la
vie des habitants de cette region ne se deroulait pas seulement
dans les villages mais aussi dans les fermes, les mines et les
regions urbaines de Zambie, du Zimbabwe et d’Afrique du Sud.
Pendant longtemps, la composante urbaine de la communaute
villageoise ne fut pas formalisee en association ethnique comme
il en prosperait tant dans la Zambie coloniale. Ce n’est
qu’en 1982 que ‘l’association culturelle Kazanga’ fut
fondee en tant que personne juridique formelle, sous le
parrainage du ministre nkoya. L’initiative etait due a une
poignee de compatriotes d’age moyen qui, malgre tous les
handicaps, s’etaient transformes de migrants cycliques peu
assures en cadres moyens de la capitale. L’enthousiasme de plus
en plus evident pour l’identite nkoya assurait a ces citadins
des relations etroites avec l’elite politique du district et
une nouvelle credibilite aux yeux des villageois dont ils
s’etaient distingues par leur position de classe et leur
urbanisation. Ils reprirent les buts ethniques cites. Cependant,
l’objectif principal de Kazanga etait la propagation, grace a
un festival annuel du meme nom, de la culture locale qui, bien
szr, recut l’etiquette ‘nkoya’. Du nom d’un bois, le mot
nkoya s’etait etendu, par l’intermediaire du nom dynastique
et du nom de district, a un groupe ethnique represente dans
plusieurs districts, a une langue, a une culture et a un projet
culturel qui devait faire reconnaitre ce nouveau groupe au niveau
regional et national.
Je vais me limiter maintenant a la
description du festival Kazanga de 1989, sur lequel je dispose de
donnees detaillees.
Sur le terrain libre pres du palais de
justice, sont installes pour les spectateurs des auvents de
roseau et deux loges: l’une pour les rois et l’autre, voisine
mais separee par un paravent de roseau, pour une poignee de
dignitaires Etat, parmi lesquels deux ministres. [22] La strategie bilaterale
de la mediation ethnique ne pouvait pas mieux s’exprimer: la
construction de l’identite ethnique vers la loge royale va de
pair, le long d’un axe parallele, avec l’assertion de cette
identite vers la loge gouvernementale.
L’absence decevante des medias rend
inutile l’installation de dispositifs d’enregistrement
speciaux. Neanmoins, les haut-parleurs ne cessent de produire un
effet Larsen et ne laissent aucun doute sur le fait que les
produits locaux, musique, chant et danse, sont presentes dans une
dimension inhabituelle. Une fois les spectateurs installes sur la
place de la fete, quatre rois font successivement leur entree
theatrale. Les dirigeants du festival ordonnent aux gens de
s’agenouiller pour le traditionnel salut royal. Pres du
sanctuaire dresse au milieu de la place, un tambour a cordes et
une clochette royale font entendre leurs singulieres sonorites.
Precede d’un kapasu au pas de parade, le premier roi s’avance
sur la place de la fete, suivi d’un cortege qui va en
s’elargissant et passe vers l’arriere au pas de danse, et
dont les femmes emettent des sons gutturaux stridents. Juste
derriere le roi, les musiciens se font presque bousculer par
plusieurs dirigeants du festival qui portent un magnetophone a
hauteur d’epaule comme si c’etait un reliquaire – chaque
aspect de Kazanga devant etre enregistre, au moins de facon
auditive. Cette classe moyenne urbaine ne dispose pas encore de
cameras videos. Au milieu de la place, quelques membres de
l’association Kazanga dansent en se dirigeant vers le roi.
Applaudi par la foule, et alors que ses noms honorifiques
traditionnels retentissent des haut-parleurs, le roi prend place
dans la loge. Apres quelques instants de silence (pendant
lesquels d’autres proprietaires de magnetophones a cassettes
installent pres des musiciens leurs appareils en position
d’enregistrement), la foule applaudit le salut royal, apres
quoi les musiciens agenouilles derriere leurs instruments
chantent un hymne de leur repertoire. Cette sequence est repetee
pour chaque roi.
Outre l’entree des rois, le programme
du festival Kazanga, distribue sous forme de stencil, contient
les points suivants:
– une partie officielle avec
l’hymne national zambien (en nkoya), le discours du president
de l’association Kazanga et celui du ministre de la Culture;
– des spectacles de danse par divers
groupes et danseurs solos afin de presenter, avec l’orchestre
d’accompagnement compose d’un xylophone et de tambours, une
carte d’echantillons de la culture expressive nkoya.[23]
La mediation visee par Kazanga
s’oriente uniquement verticalement, c’est-a-dire vers Etat,
et non pas horizontalement, c’est-a-dire vers les autres
groupes ethniques. Le Ministre Junior de la Culture present,
Monsieur Tembo, est originaire de l’Est de la Zambie et, comme
99% de la population zambienne, ne connait pas le nkoya. Il y a
quelques annees, il aurait simplement prononce son discours en
anglais. Mais depuis, beaucoup de choses ont change en Zambie.
Ainsi, avant la ceremonie, le ministre s’est fait dicter par
Monsieur D. Mupishi, l’un des dirigeants de Kazanga, ancien
syndicaliste et marchand de peaux, quelques phrases en nkoya
qu’il recite maintenant a l’aide de notes en braille
dissimulees dans la poche de son veston. C’est la premiere fois
qu’un representant de Etat s’adresse officiellement aux Nkoya
dans leur langue. Le succes est ecrasant. Passe rapidement a
l’anglais, qui est traduit en nkoya par Monsieur Mupishi, le
ministre felicite les dirigeants du festival pour l’excellent
accueil qu’ils ont reserve aux hommes politiques et declare que
leur mediation ethnique est une reussite. Il fait appel aux
anciens pour qu’ils enseignent aux jeunes ‘la signification
de Kazanga’, et aux jeunes pour qu’ils manifestent de
l’interet. Cette annee, on fete le vingt-cinquieme anniversaire
de l’independance zambienne et le ministre rend gloire a Dieu
pour ses bienfaits et le president Kaunda pour sa sagesse.
Etat zambien est en faillite et a
besoin de tout le soutien possible. Le regime Kaunda touche a sa
fin; aux elections democratiques de 1991, l’UNIP sera battue,
apres avoir domine Etat pendant pres de trente ans, par une
coalition democratique nationale menee par Monsieur F. Chiluba.
Pendant la nuit qui preceda le festival Kazanga de 1989, la
monnaie zambienne a ete a nouveau devaluee de 100%. Les propos
religieux doivent masquer le fait que, sur le plan politique, le
ministre n’a plus rien a dire. Mais ce n’est pas necessaire
non plus. A la lumiere de l’humiliation subie pendant la
periode coloniale et des defiances premieres entre les Nkoya et
Etat postcolonial, la confirmation inconditionnelle que donne
Ministre Tembo de l’ethnicite nkoya par Etat est plus que
suffisante pour le public.
Analysons maintenant les details du
processus de mediation ethnique comme il se deroule lors du
festival Kazanga.
Essentiel pour la mediation ethnique
est le fait que la tache des mediateurs se caracterise non
seulement par une organisation devouee, mais aussi par une
selection et une transformation culturelles.
En Zambie, comme dans presque tous les
pays du monde moderne, la vie publique et la culture politique
nationale sont dominees par les medias, en particulier par la
radio et la television. La mediation ethnique vers le monde
exterieur cherche donc a acceder aux medias et, pour ce faire,
les festivals sont un moyen eprouve. Il s’ajoute a cela deux
raisons importantes. Premierement, le district de Kaoma a
toujours eu une tradition musicale particulierement riche. [24]Au
debut du dix-neuvieme siecle, l’idee d’un orchestre royal a
la facon nkoya fut repris de facon permanente par les Lozi. La
musique que les Nkoya considerent de bon droit comme leur etant
‘propre’ est donc souvent diffusee par les medias zambiennes
– mais comme attribut du pouvoir lozi abhorre. Deuxiemement, la
principale expression publique du pouvoir lozi est la ceremonie
Kuomboka qui se tient chaque annee en avril a l’occasion du
demenagement du roi, en chaloupe de gala, de sa residence d’ete
a sa residence d’hiver. Kuomboka jouit depuis un siecle de la
grande attention des medias et des hauts dignitaires. Le festival
Kazanga se veut etre la reponse nkoya a Kuomboka, tout comme
l’association Kazanga, avec ses T-shirts imprimes pour ses
membres, tente d’imiter l’association lozi beaucoup plus
riche, plus puissante, plus nombreuse et plus efficace qui rend
possible le Kuomboka annuel. [25]
Le festival Kazanga est ainsi une
nouvelle forme strategiquement choisie. De quelle maniere
selectionne-t-il et transforme-t-il la culture locale existante?
Le cadre etroit de cet article m’oblige, helas, a passer sur le
fait que le festival Kazanga se fonde sur un exemple du
dix-neuvieme siecle qui toutefois se limitait a un seul roi; et
nous pouvons seulement constater qu’au milieu de ses rois, le
festival moderne – grace en partie a un sanctuaire construit a
neuf pour ses seuls ancetres – eleve Mutondo a une position de
seniorite a laquelle il ne peut pretendre traditionnellement. En
tant que forme de mediation ethnique, Kazanga vise a presenter
une carte d’echantillons de la culture nkoya. A quoi pourrait
ressembler une telle carte, vu les formes courantes de culture
expressive dans la situation villageoise?
La musique et la danse locales nkoya
sont depuis deux siecles un modele pour toute la Zambie
occidentale. La richesse dans ce domaine contraste avec la
quasi-inexistence des arts plastiques et de l’architecture
ornementale. [26]La plupart des formes de culture expressive
sont liees a des situations specifiques: initiation des
adolescentes, mariage, guerison, transmission du nom, ascension
au trone, execution musicale biquotidienne de l’orchestre
royal, fetes de la guilde des chasseurs. De plus, un repertoire
de fete qui suit le gout du jour divertit ceux des villageois qui
participent a ces situations dans des roles non specialises.
Chaque membre de la communaute a le droit et la competence de se
servir publiquement de presque tout le repertoire. Une pure
consommation de musique et de danse, excluant toute possibilite
de participation active propre, n’existe qu’a l’egard de
l’orchestre royal. Dans les autres occasions, de nombreuses
voix et textes legerement divergents retentissent cote a cote en
polyphonie, et pour les formes de danse, on peut aussi parler,
par analogie, de ‘polychorie’. [27]
Il n’est jamais question de regie,
d’orchestration ou de choregraphie. Les musiciens, les
chanteurs et les danseurs se remplacent a leur guise. Les
dirigeants, hommes et femmes, veillent seulement a ce que les
eventuels roles solos ne soient pas trop ecrases par la foule.
Selon l’endroit et l’epoque, ces expressions sont
naturellement integrees dans l’espace social et geographique du
village. Elles forment souvent un element de la vie du village et
des individus qui le composent.
Comme structure des activites, le
domaine musical et dansant fournit pendant de nombreuses heures,
et parfois meme plusieurs jours, des situations d’articulation
libre et souvent virtuose de l’individu en tant que membre
d’un groupe qui, reuni pour une production symbolique, coincide
en grande partie au groupe local dans lequel ont lieu la
production et la reproduction materielles. Le domaine expressif
forme, sans aucune exageration, le pivot de la societe
villageoise. [28]
Que retrouve-t-on de tout cela dans
Kazanga nouveau style? Beaucoup moins que l’on peut s’y
attendre si l’on considere ce festival comme etant une
expression authentique de la tradition.
Le festival est domine par ‘la
performance’ en tant que dimension cosmopolite construite de la
production symbolique. La performance peut se decrire comme suit:
c’est une activite specialisee, structuree et standardisee dans
les moindres details par une regie; detachee dans l’espace et
le temps du contexte usuel de production et de reproduction
materielles; et presentant une separation tres nette entre (a)
les dirigeants, (b) les producteurs directs c’est-a-dire les
executants, et (c) la foule des consommateurs reduits a
l’incompetence et a la non participation productives.
Une telle forme de production nie les
caracteristiques du domaine expressif dans la societe
villageoise. Elle offre une matrice dans laquelle des elements
detaches sont inseres et remplaces a souhait; ces elements sont
transformes en objets et consommes pour acquerir, au milieu
d’autres performances similaires, une valeur marchande dans le
monde exterieur considere comme un marche de produits
‘performatifs’. Les elements composant la performance sont
empruntes a un idiome local mais fonctionnent dans un contexte et
d’une maniere tellement differents que l’idee de continuite
par rapport a la tradition n’est pas soutenable.
Examinons de plus pres les trois roles
de dirigeant, d’executant et de spectateur, a commencer par ce
dernier.
Sous les instructions assourdissantes
diffusees par les haut-parleurs, les spectateurs debout le long
de la place de la fete supportent assez bien leur passivite. Ils
acclament avec enthousiasme l’entree des rois et la plupart des
spectacles, et beaucoup se balancent involontairement au rythme
de la musique. Seules quelques femmes agees revendiquent leur
droit de danser et de chanter a pleins poumons. Leurs mouvements
de danse sont vifs et impliquent tout le corps sans aucune gene.
Ensuite les executants. Quelques-uns
seulement des quinze spectacles presentes le jour du festival
sont prepares par de vrais villageois, provenant notamment de la
region de Kahare. Ils transmettent leur culture expressive avec
un minimum de regie et de choregraphie, dans leurs habits de tous
les jours, et la plupart pieds nus. Mais leur participation ne
tient pas a une raison evidente qui se serait imposee dans
l’espace et le temps de leur village, mais au fait qu’ils
sont cooptes par des mediateurs ethniques. Dans ces periodes
difficiles, la perspective d’un rendement monetaire est
allechante, et ils sont profondement decus apres le festival de
rentrer chez eux avec seulement l’argent pour s’acheter un
paquet de cigarettes.
Les autres executants sont des danseurs
solos qui incarnent un bouffon de cour, un chasseur ou un
guerrier traditionnels, et sont couverts de parures que l’on
n’avait pu admirer depuis bien longtemps, ainsi que quatre
petits groupes de danse feminins: deux originaires d’une ecole
de village, un constitue de membres feminins de l’association
Kazanga a Lusaka, et un autre compose de deux jeunes villageoises
interpretant la danse de la kankanga qui clot l’initiation des
adolescentes. Ces dernieres sont conduites sur la piste de danse,
courbees sous une couverture selon la coutume, mais elles ne sont
nettement plus des kankangas: leurs seins sont bien developpes et
recouverts, contre la tradition, de soutiens-gorge blancs; ces
femmes n’ont rien de la grace timide et craintive d’une
debutante, mais elles agitent avec elegance des petits foulards
blancs a la fin de leur danse. Pendant la danse, les citadines se
reconnaissent facilement: elles portent des chaussures, leurs
cheveux sont couteusement coiffes, certaines ont des lunettes de
soleil et toutes portent au-dessus du pagne, qui est une
concession incontournable au gout villageois, le meme T-shirt
blanc imprime avec l’inscription ‘KAZANGA 1989 – NKOYA
CULTURAL CEREMONY’. Leur inhibition motorique renvoie aux
conceptions de la classe moyenne occidentale et au christianisme
cosmopolite: ceci reflete une tentative indeniable de construire
une culture ethnique acceptable par une societe plus large, dans
ce sens aussi qu’elle ne confirme pas les stereotypes de
‘paganisme’ et de ‘primitivite’. Les femmes de chaque
groupe de danse sont toutes habillees de la meme facon et
s’efforcent de faire toutes ensemble les memes mouvements et
pas de danse, selon des figures geometriques en forme de cercle
et de ligne. En consequence, leur performance acquiert une unite
sans relief, une predictibilite et une pauvrete de forme en
opposition flagrante avec leur culture expressive traditionnelle.
La danse des citadines est coordinee par un danseur qui, certes,
porte des vetements feminins, une perruque blonde en nylon (!) et
des claquettes aux jambes mais qui, a nouveau chose impensable
dans la situation villageoise, ne cesse de mettre l’accent sur
son autorite masculine sur les femmes qui dansent et chantent. Il
danse aussi avec les autres groupes feminins, meme avec les
fausses kankangas.
Au niveau des executants, Kazanga
exprime des oppositions qui, malgre la tentative d’unite
pan-nkoya, font eclater le groupe ethnique en camps opposes:
oppositions entre styles de vie citadin et rural, entre classes,
entre hommes et femmes et entre religion autochtone et
christianisme. [29]
Ces oppositions sont, chose etonnante, a peine masquees
symboliquement; au contraire, la subordination au groupe dominant
(citadins, classe moyenne, hommes) est rendue plus explicite
encore. Une interpretation en termes de ‘mauvaise conscience
masquante’ ne peut avoir sa place ici.
Enfin les dirigeants. Nous en avons
deja rencontre certains en train de danser en T-shirt, de
prononcer des discours, de diriger le programme du festival et de
donner au microphone des instructions au public. Outre le
T-shirt, le costume cravate est leur parure caracteristique.
Toujours reconnaissables comme une categorie a part, ils
deliberent continuellement et sans signes de friction, pres du
microphone, avec les dignitaires a la cour de Mutondo en tenue
similaire – auxquels ils sont souvent apparentes. Leur
comportement a l’egard des hommes politiques nationaux est
moins desinvolte, et beaucoup retombe sur les epaules de Monsieur
Mupishi qui accompagne les invites de haut rang et souffle des
formules diplomatiques a ses coadministrateurs. Aucun des leaders
cravates ne se laisse tenter a danser ou a faire le salut royal,
– leur role de mediateur semblant exiger une distance
superieure par rapport au produit offert.
La dimension performative de Kazanga
est une formule cosmopolite importee avec une force politique et
ideologique considerable, depuis le debut du siecle, dans le
district de Kaoma, par la mission et l’enseignement et promue
ensuite par Etat postcolonial a l’occasion de la celebration
des fetes nationales, de la presentation des spectacles
agricoles, etc. Rien d’etonnant donc a ce que cette formule
facilite la mediation vers Etat qui s’appuie lourdement, pour
sa propre legitimation, sur la production culturelle
performative. [30]
La performance formalisee, contact unilateral qui ne s’enracine
plus dans une pratique de production et de reproduction
materielles mais qui reduit le groupe cible a une incompetence
passive, n’est qu’une metaphore de la relation entre Etat
moderne et le citoyen. La formule performative parvient
quotidiennement aux consommateurs zambiens par l’intermediaire
de la radio et de la television et va des spectacles de la Troupe
nationale de danse a la serie televisee nord-americaine
‘Dallas’ en passant par les hit-parades internationaux de
musique pop. C’est la formule de la culture de masse actuelle,
propagee a l’echelle mondiale par les medias electroniques.
C’est cette partie de l’experience africaine actuelle qui
rejoint et meme correspond a notre experience propre,
similairement structuree en tant que consommateurs de medias et
de culture occidentale sur un marche de produits symboliques
commercialises, diriges et alienes, et parmi lesquels on trouve
d’ailleurs de plus en plus de produits africains modernes.
Les ressources electroniques
(representees a Kazanga par les haut-parleurs et les
magnetophones), trahissent le mode de production capitaliste
dominant a l’echelle mondiale dont les caracteristiques
essentielles sont la separation entre les producteurs directs et
leur produit, l’alienation qui en derive, le marche comme base
principale de formation des valeurs et l’accent mis sur la
standardisation et l’interchangeabilite – comme s’il
s’agissait d’un produit industriel ou d’un ouvrier. Ces
caracteristiques sont si evidentes a Kazanga [31] que le festival doit etre vu comme une
mediation non seulement entre la communaute locale et Etat, mais
aussi entre la production non capitaliste de cette communaute et
le mode de production capitaliste.
Un chercheur non prepare qui, lors de
sa recherche sur le terrain dans le district de Kaoma, se
heurterait au festival Kazanga, serait sans doute enclin a
considerer le phenomene comme un element integrant de la culture
locale et negligerait les nombreuses implications politiques et
culturelles du processus de mediation ethnique. Cependant, les
etudes anthropologiques faites dans le district au cours des
vingt dernieres annees offrent une pierre de touche pour ce qui
est presente aujourd’hui comme etant la ‘culture nkoya
traditionnelle’. Kazanga ne semble en aucun cas etre
l’expression d’une identite culturelle traditionnelle bien
definie. Il represente l’abandon des identites locales diffuses
en echange de la construction d’une identite ethnique ayant
monnaie d’echange vers le monde exterieur du fait que ses
produits y sont reconnaissables.
Mon analyse a montre que le festival,
dont personne ne nie le caractere extremement recent, est moins
base sur une legitimite vers le passe que sur la mediation de la
culture locale vers le monde exterieur actuel, ou cette culture
est radicalement transformee et ou de nouvelles inegalites sont
creees et accentuees.
L’analyse de Kazanga n’offre pas
seulement une illustration d’un modele de selection et de
transformation culturelles dans un contexte de mediation ethnique
– modele qui semble avoir une applicabilite considerable, des
mouvements afrikaner et zoulou sud-africains [32]aux modeles d’autorite
de la societe multiculturelle neerlandaise. [33] Kazanga souleve une question tres importante
dans le developpement actuel vers une societe mondiale.
Reste-t-il au bien culturel des societes peripheriques
impuissantes du tiers monde un autre avenir que celui d’etre
insere, plus ou moins comme folklore, dans le monde exterieur
sous une dimension alienee? Le transfert culturel implique
necessairement un detachement a l’egard du contexte initial,
mais c’est la seule maniere non seulement de documenter et
d’expliquer les acquisitions inestimables des innombrables
cultures du tiers monde, mais aussi de les incorporer comme
faisant partie integrante du patrimoine humain general.
Un facteur important de l’attrait que
ces cultures lointaines exercent sur nous, l’une des raisons
pour lesquelles chaque generation d’anthropologues occidentaux
repart vers l’Afrique, est l’espoir de faire l’experience
d’une culture totalement differente dans son contexte, sa
cohesion et sa signification, pour la gloire de la culture
humaine comme totalite et pour l’enrichissement de notre
existence. Une telle tentative est souvent condamnee comme etant
romantique et egoiste et se concilie mal avec la subordination
qui determine depuis des siecles les relations Nord-Sud.
Neanmoins, elle a produit une litterature ethnographique qui
reussit souvent a medier entre la communaute locale etudiee et la
societe cosmopolite. Au cours du reportage, l’ethnographe se
distancie de son experience directe sur le terrain – tout comme
Kazanga se distancie du domaine expressif comme il fonctionne au
niveau du village. [34] Y
a-t-il des conditions sous lesquelles, a Kazanga, dans d’autres
formes de traduction culturelle et dans l’ethnographie, ce
processus peut se derouler sans jeter le bebe avec l’eau du
bain? De ce point de vue, mon analyse de Kazanga est pessimiste.
La reconnaissabilite du propre comme
propre est cependant un processus flexible pour lequel le
proprietaire n’a pas de compte a rendre aux autres.
L’anthropologue constate que la mediation ethnique fournit un
produit culturel fondamentalement different de ‘la chose
reelle’ – mais, qui deniera aux participants le droit
d’etre satisfaits du produit transforme, de s’y reconnaitre,
et de l’envoyer dans le monde exterieur? La dimension
performative, et plus generalement chaque mediation dans laquelle
la structure du monde exterieur cosmopolite est determinante,
offre des possibilites de negociation avec Etat et l’economie
mondiale qui, vu la dominance de cette derniere, sont peut-etre
la seule chance de survie pour les elements culturels locaux. [35]
L’enthousiasme non deguise avec
lequel les villageois acclament les rois a leur entree, et avec
lequel ils se bousculent pour donner de l’argent meme aux
fausses kankangas, suggere qu’ils seraient en desaccord avec la
partie de mon analyse de Kazanga qui met l’accent sur les
violences faites a leur logique culturelle propre. Leur
flexibilite a l’egard des canons traditionnels, leur confiance
implicite dans le fait que ce qui compte vraiment n’est pas
necessairement perdu malgre la selection, la transformation et le
poids des nouvelles inegalites, devraient encourager les
anthropologues dans leurs tentatives de mediation intellectuelle
des societes locales du tiers monde.
Les phenomenes ethniques dominent le
monde d’aujourd’hui et de demain; la lecture des journaux
offre, sur ce point, de nombreux exemples concrets. Dans une
Europe occidentale en marche vers une unite politique et
economique, notre langue et notre culture historique nationales
prendront, elles aussi, le caractere d’une expression ethnique
a l’interieur d’un ensemble plus grand. Comment avoir prise
sur ces processus mondiaux qui sont des manifestations multiples
des principaux themes presentes ici: le paradoxe entre
l’acriptif invariable et le manipulatif mobilisant; et la
formation de pouvoir et d’identite par mediation entre les
symboles locaux d’une part et Etat et economie mondiale de
l’autre? L’anthropologie peut largement contribuer a notre
comprehension par:
– une connaissance detaillee et
approfondi des societes locales dans leurs tentatives pour entrer
en contact avec le monde exterieur;
– la recherche d’un equilibre entre
des theories abstraites et globales, et la lecon qui peut etre
tiree, avec beaucoup plus de difficultes, du materiel
ethnographique specifique;
– la prise de conscience qu’a cote
de l’economie politique [36]
et de l’histoire, le domaine symbolique joue un role capital
dans les phenomenes ethniques et doit etre approche avec les
methodes appropriees;
– la prise de conscience toujours
renouvelee et verifiee par la pratique de l’observation
participante, du dialogue et de l’identification entre le
chercheur et l’objet de sa recherche, qui ouvre la voie vers
une science humaine vraiment humaine.
Ces perspectives peuvent s’appliquer
de facon fructueuse a l’Afrique – notamment a l’Afrique
australe, ou, par exemple, la lutte pour un Etat
post-segregationniste en Afrique du Sud, l’hegemonie des Tswana
au Botswana [37]et
le jeu d’equilibre entre les identites shona, ndebele et
europeennes au Zimbabwe [38]
requierent un terrain d’etude complexe pour le developpement
des themes que je vous ai presentes ici a tres petite echelle.
Traduit du neerlandais par Evelyne
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1989, Land filled with flies: A political economy of the
Kalahari, Chicago & Londres: University of Chicago Press.
[1] Forme abregee du
discours inaugural prononce par l’auteur le 20 mars 1992 a
l’occasion de son entree en fonctions comme professeur
extraordinaire sur mandat de la fondation Afrika-Studiecentrum a
la chaire ‘Ethnicite et ideologie dans les processus de
developpement dans le tiers monde’ de la Faculte des Sciences
socioculturelles de l’Universite libre d’Amsterdam. Le
financement de la traduction en francais a ete pris en charge par
le Departement d’Anthropologie et de Sociologie de
developpement, Universite libre d’Amsterdam.
[2] Voir Genese 2:19.
[3] Fardon (1987) nie
en revanche l’existence d’universaux dans l’etude sur
l’ethnicite.
[4] Par exemple Levi-Strauss (1962).
[5] Gutkind (1970);
Helm (1968); Godelier (1973), p. 93-131: ‘Le concept de tribu:
Crise d’un concept ou crise des fondements empiriques de
l’anthropologie?’; Ranger (1982); Vail (1989a, 1989b); Bayard
(1989) notamment p. 65-86: ‘Le theatre d’ombres de
l’ethnicite’.
[6] Il est impossible
de rendre compte ici de l’immense litterature qui couvre les
diverses disciplines traitant de l’identite. L’un des auteurs
les plus influents est le psychiatre Erikson (notamment 1968).
D’importantes etudes d’anthropologie sur l’identite
ethnique se trouvent notamment in de Vos & Romanticismes
(1975); Horowitz (1975); Jacobson-Widding (1983). Pour notre
sujet zambien, voir Ethos and identity (Epstein 1978), qui se
distancie de l’accent mis sur la simple classification dans
l’etude sur l’ethnicite de son proche collegue Mitchell
(1956, 1974). L’approche magistrale de Blacking (1983) accorde
une large attention a la culture expressive. Pour une
contribution francaise inspirante, voir Amselle (1990).
[7] Pour une opinion
similaire, voir Uchendu (1975): 265.
[8] D’anciens
chercheurs se sont laisses seduire par cet aspect et ont decrit
l’ethnicite en termes d’identite de base (‘primordial
identity’), facon de voir avec laquelle Doornbos (1972) en
finit une fois pour toutes.
[9] L’anthropologie
marxiste traite de la mediation entre de telles relations
sociales structurees, fondamentalement differentes, en termes de
liaison ou d’articulation des modes de production, voir
Geschiere (1982); van Binsbergen & Geschiere (1985a); et
references ibidem. Bien que l’etude sur l’ethnicite montre
que le domaine symbolique ne peut etre place de facon
convaincante dans une relation subordonnee a l’egard de la
production et de la reproduction, la perspective de
l’articulation de modes de production n’en est pas moins
inspirante – voir van Binsbergen (1985).
[10] Le role central de ce type de mediateurs
est commente dans une immense litterature anthropologique, dans
laquelle Barth (1966) occupe une place classique.
[11] Le monde exterieur dans la mediation
ethnique ne comprend pas seulement Etat. Peel (1986) decrit
l’identite yoruba comme un projet du dix-neuvieme siecle dans
lequel, tout comme pour les Nkoya, un ancien chef Eglise jouait
un role capital. Vail (1989b) mentionne, outre les hommes
politiques et les chefs Eglise locaux, les chercheurs
scientifiques comme mediateurs dans de nombreux processus
d’ethnisation en Afrique du Sud; voir Papstein (1989); van
Binsbergen (1985). Le processus de mediation est egalement un
theme chez Ranger (1982). De recentes etudes d’Afrikaners en
Afrique du Sud ont mis en lumiere le role de mediateur ethnique
de l’ecrivain – et il existe a cet egard de nombreux
paralleles ailleurs en Afrique, comme par exemple Okot p’Bitek,
defenseur de l’ethnicite acholi en Ouganda (van de Werk 1980).
[12] Voir Edelstein (1974); Saul (1979); Kahn
(1981); van Binsbergen (1985). Le point de vue marxiste domine
l’approche de l’ethnicite parmi la population noire
sud-africaine. La lutte contre Etat segregationniste comme
manipulateur ou meme createur de l’ethnicite noire conduit a la
negation de l’ethnicite comme variable independante; elle ne
peut etre alors qu’une conscience de classe pervertie (par
exemple Simons & Simons (1969); Mafeje (1971); Phimister
& van Onselen (1979). Ces dernieres annees, un certain
changement est apparu dans cette attitude politiquement
comprehensible mais scientifiquement trop reductionniste (par
exemple Beinart 1988 qui, dans la biographie detaillee d’un
migrant, met aussi en cause les strategies ethniques parmi la
population noire).
[13] Des etudes sur le terrain ont ete menees
en 1972-1974 dans le district de Kaoma et a Lusaka parmi des
migrants originaires de Kaoma, ainsi que lors de brefs sejours
finances par l’Afrika-Studiecentrum en 1977, 1978, 1981 et
19J’ai beneficie en 1974-1975 d’une annee d’etude
subventionnee par la fondation WOTRO. Pour la societe locale et
son histoire, voir van Binsbergen (1981, 1985, 1987a, 1991a,
1991b, 1992a); van Binsbergen & Geschiere (1985b notamment p.
261-270, ‘production at a Zambian chief’s court’); et
references ibidem.
[14] Sur les Lozi, surtout connus par les
travaux de Max Gluckman, voir par exemple Prins (1980) et les
abondantes references ibidem.
[15] Sur les Luvale, voir Papstein (1989) et
references ibidem.
[16] Certaines indications (dont je ne peux
juger la valeur linguistique) tendent a prouver que le nom Nkoya
est plus ancien encore; que c’est une alteration du nom
‘Kola’ qui designait le coeur de la region lunda, berceau de
nombreuses dynasties dans le Sud de l’Afrique centrale.
[17] Dans le Nord du Barotseland, le groupe
luvale a pu se soustraire en 1940 a l’autorite lozi et former
son propre district, place directement sous Etat central; cf.
(Papstein 1989); pour l’influence de ce processus sur
l’ethnicite nkoya, voir van Binsbergen (1992a): 39.
[18] En fait: ‘Andrew Murray Memorial
Mission’, appelee plus tard ‘Africa Evangelical Fellowship’
dont l’eglise missionnaire est devenue independante du point de
vue de l’organisation sous le nom de ‘Evangelical Church of
Zambia’.
[19] Testamenta (1952).
[20]Anonyme, sans date; et l’ouvrage
principal de Shimunika: Likota lya Bankoya, redige par moi en
nkoya et en anglais: van Binsbergen (1988a, 1992a). La traduction
anglaise dans l’edition de 1992 est de M. Malapa, president de
l’association Kazanga jusqu’en 1990, et de moi-meme.
[21] Caplan (1970); Molteno (1974).
[22] En 1989, la loge Etat etait occupee
notamment par: Monsieur J. Mulimba, Ministre du Travail, du
Developpement social et de la Culture, membre du Comite central
de l’UNIP; Monsieur L. Tembo, Ministre Junior de la Culture;
Monsieur J. Kalaluka, simple particulier, jusqu’en 1988 membre
du parlement pour le district et ministre des Affaires
economiques; et Madame S. Mulenga, epouse du gouverneur du
district de Kaoma empeche pour raison de sante.
[23] La liste des danseurs solos inscrits au
programme comprenait Mwene Mutondo dont la danse royale devait
fournir l’un des clous du festival, mais cet element a ete
abandonne, soi-disant pour raisons de sante, mais sans doute
aussi pour ne pas propager l’hegemonie Mutondo plus
explicitement encore que ce n’etait deja le cas (voir
paragraphe 7).
[24] Voir Brown (1984); Kawanga (1978); et mes
publications.
[25] Voir Brown (1984); van Binsbergen (1987b);
et references ibidem.
[26] D’autres recherches sont necessaires
pour determiner si cette absence d’arts plastiques est surtout
une consequence des influences iconoclastes du christianisme et
des mouvements d’anti-sorcellerie actives en pays nkoya depuis
le debut du vingtieme siecle. Un eventuel art plastique ancien
aurait surtout concerne des objets se rapportant au culte des
ancetres et a la magie. Les batons ancestraux dans le sanctuaire
Mutondo sont, selon mon experience, uniques dans le district,
mais il en existe ailleurs dans le Nord-Ouest de la Zambie –
ils seraient en fait largement repandus sur tout le continent
africain.
[27] Du grec polu, ‘beaucoup’ et choros,
‘danse’.
[28] Voir van Binsbergen (1991a).
[29] Une opposition theorique evidente et
indeniable dans la societe villageoise du district de Kaoma mais
qui ne semble pas exprimee par Kazanga est celle entre les
anciens (du sexe masculin) et les jeunes. Une reflexion plus
approfondie s’impose sur ce point.
[30] T.O. Ranger et R.P. Werbner ont organise
en 1986 a Manchester une conference inspirante sur cet aspect des
transformations culturelles dans Etat africain postcolonial:
‘Culture et conscience dans l’Afrique du Sud’. Certaines
contributions ont ete publiees entre-temps dans le Journal of
Southern African Studies; voir aussi Kaarsholm (1989, 1990).
[31] Par exemple: la regie egalisante du
vetement et de la motorique, la repression de la polyphonie et de
la polychorie, la retribution en argent et la reduction de la
plupart des personnes presentes en consommateurs incompetents.
[32] Sur les Afrikaners, voir Moodie (1975);
February (1991); Giliomee (1989, 1989); Hofmeyr (1988); sur les
Zoulous et les Inkathas, cf. Coquerel (1989); Mare & Hamilton
(1987); Marks (1989); Schlemmer (1980).
[33] Les etudes sur la societe multiculturelle
neerlandaise accordent surtout de l’attention aux mediateurs
ethniques n’appartenant pas aux groupes ethniques en
articulation mais au monde exterieur (hollandais) – les
‘gerants’ (Kobben 1983; van Borselen 1985); pour les
mediateurs originaires des groupes ethniques, voir van Wetering
(1991); van der Burg & van der Veer (1986); Koot & Venema
(1985); Bruin (1985) dans l’ouvrage passionnant de Bovenkerk et
al. (1985).
[34] Voir Clifford & Marcus (1986); Geertz
(1988). J’ai intensivement etudie ces dernieres annees la
notion de mediation anthropologique et culturelle entre la
communaute locale et le monde exterieur cosmopolite, ainsi que
les problemes methodologiques, esthetiques, ethiques et
politiques qui lui sont lies; voir van Binsbergen (1985, 1985,
1988b, 1988c), van Binsbergen & Doornbos (1987).
[35] Le dilemme esquisse se trouve a la base de
l’affaire Rushdie, ecrivain condamne a mort pour une mediation
(dans ce cas litteraire) de l’islam que certains musulmans
considerent comme etant trop transformative; Rushdie lui-meme
ecrit: ‘Les versets sataniques est un plaidoyer pour un
changement par fusion, pour un changement par liaison. C’est
une ode a notre moi batard. Tout au long de l’histoire de
l’humanite, les apotres de la purete, ceux qui pretendaient
posseder une explication totalisante, ont fait des ravages parmi
des gens dont la seule faute etait leur incertitude morale. Tout
comme des millions d’autres gens, je suis un batard de
l’histoire. Il est bien possible que nous tous, noirs, bruns et
blancs, nous nous entremelions, comme dit l’un de mes
personnages, comme les saveurs a la cuisson’ (Rushdie 1990:
12).
[36] Par exemple Shaw (1986); Rothschild &
Olorunsola (1983); Bayart (1989). L’etude abstraite de Shaw est
un exemple de ce qu’un projet ethnographique plus modeste peut
nous faire eviter; sa generalisation, a savoir que l’expression
dominante dans les systemes politiques africains est formee en
periodes de croissance economique par l’ethnicite et en
periodes de declin economique par la lutte des classes, semble en
contradiction avec ce que nous a appris la simple observation
participante.
[37] En accord avec l’image officielle du
Botswana comme Etat mono-ethnique, peu d’etudes ont ete faites
sur les processus ethniques dans ce pays – hiatus que
j’espere pouvoir combler dans les annees qui viennent. Ebauches
dans Picard (1987); Wilmsen (1989); van Binsbergen (1991b). Comme
preparation, j’ai etudie le developpement de perspectives sur
les relations raciales, le vecu culturel public et la relation
entre Etat et la societe civile au Botswana (van Binsbergen 1990,
1991c, 1992b).
[38] Par exemple Ranger (1989); Schutz (1990).
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